La décision de la République démocratique du Congo d’imposer un «état de siège» à deux provinces de l’est ravagées par la violence a suscité les louanges samedi de la part des dirigeants locaux, mais a également suscité l’inquiétude dans un pays où l’armée fait face à des allégations de violations des droits.
Le président Félix Tshisekedi avait déclaré jeudi qu’il préparait des «mesures radicales» pour l’est riche en minéraux, où environ 122 groupes armés opèrent comme héritage d’une vague de conflits des années 1990.
Vendredi, il a suivi l’annonce du siège des provinces du Nord-Kivu et de l’Ituri, hantées par la violence des groupes armés et les massacres civils. Le gouverneur du Nord-Kivu, Carly Kasivita, a remercié le président pour une décision qui, selon lui, « répond à nos attentes », soulignant qu’il avait appelé à plusieurs reprises une « mobilisation nationale » pour faire face aux attaques dans la région de Beni de la province près de la frontière ougandaise qui a porté le poids des troubles locaux.
L’Association congolaise pour l’accès à la justice a également déclaré qu’elle se félicitait de cette décision, mais a appelé le Parlement à adopter d’urgence une législation pour « empêcher les abus » qui pourraient résulter de l’imposition d’un siège.
Le Premier ministre du pays avait suggéré lundi de déclarer l’état d’urgence impliquant « le remplacement de l’administration civile par une administration militaire ». Certains observateurs se sont déclarés préoccupés par le recours à une telle démarche qui impliquerait l’invocation de l’article 85 de la constitution du pays.
– L’armée doit être « sans reproche » – « Si l’armée doit avoir plus de pouvoir, elle doit être sans reproche », a averti le mouvement citoyen Lucha. En visite à Paris mardi, Tshisekedi avait demandé à la France de l’aider à «éradiquer» les Forces démocratiques alliées (ADF), combattants islamistes ougandais basés dans l’est de la RDC depuis 1995.
Qualifiée d’organisation djihadiste par Tshisekedi et les États-Unis, les ADF ont tué plus de 1200 civils dans la seule région de Beni depuis 2017, selon un moniteur appelé Kivu Security Tracker (KST). L’armée mène des opérations contre le groupe – que Washington qualifie d’organisation « terroriste » affiliée à l’État islamique – depuis octobre 2019, mais n’a pas été en mesure de mettre un terme aux massacres.
Cet échec a suscité des protestations de la part d’élèves du secondaire que la police et les soldats ont utilisé vendredi pour réprimer les gaz lacrymogènes et les fouets. Un rapport de l’ONU sur les droits de l’homme en mars estimait que le pays avait connu une augmentation de 32% des violations des droits de l’homme depuis février, citant une forte augmentation des abus commis par les militaires dans la province du Nord et du Sud Kivu ainsi qu’au Tanganyika.
Bienvenu Matumo, membre de la Lucha et universitaire, a déclaré à l’AFP: « Il faut mettre de côté les militaires qui commettent des violations des droits et qui participent aux échanges et aux transactions économiques. » Parallèlement à de telles craintes qu’un état de siège puisse avoir un effet négatif sur les droits de l’homme, un observateur local de Twitter, Simon Lukombo, a demandé rhétoriquement « quels moyens supplémentaires seront à venir pour protéger la population » pendant sa durée?
Après avoir pris ses fonctions en janvier 2019, Tshisekedi n’a pas tardé à indiquer qu’il prévoyait des interventions à grande échelle d’une armée de 150000 hommes qui contient d’anciens rebelles dans ses rangs de deux guerres civiles récentes pour lutter contre les troubles au Nord-Kivu et en Ituri.
A Beni, une offensive de l’armée a dûment suivi mais a annoncé des représailles sanglantes de la part des ADF. Lucha a notamment exigé que les interventions militaires n’incluent pas les troupes anciennement intégrées dans les groupes rebelles du CNDP et du M23 soutenus par le Rwanda, au milieu de suggestions à peine voilées selon lesquelles certaines troupes conservent des liens avec divers groupes armés.
Dans l’ensemble, cependant, Tshisekedi, qui bénéficie du soutien américain, est en position de force après avoir obtenu le soutien de la majorité dans un parlement auparavant fidèle à son prédécesseur Joseph Kabila, ce qui lui avait limité la main au cours de ses deux premières années au pouvoir.